Autopsie d’une toile
Fana d’art j’ai choisis de vous parler aujourd’hui d’un tableau, non il ne s’agit
pas du célèbre « Déjeuner sur l’herbe » encore moins de la controversée
« Joconde », j’ai nommé « ATALA AU TOMBEAU ».
Atala est une jeune indienne convertie au christianisme qui tomba éperdument
amoureuse du jeune Chactas emprisonné par sa tribu. Les jeunes gens atteints
par les flèches de Cupidon n’eurent le choix -vu qu’ils étaient issus de tribus
ennemies- et fuirent à travers la forêt. Au cours de leur périple, ils rencontrèrent
le père Aubry, qui voulait convertir Chactas et l’unir à Atala. Hélas, Atala ne
pouvait laisser libre cours à ses sentiments et s’aventurer dans les méandres de
l’amour car elle avait fait vœu de se consacrer à la vierge. Croyant que son vœu
l’engageait sans retour, elle choisit de noyer son chagrin dans les abysses de
la mort, et fit le choix de se suicider.
Cette histoire mêlant l’amour au macabre s’inscrit dans la grande tradition des
amours impossibles tels Roméo et Juliette, Tristan et Iseut, Asli et Taslit.
Ce récit tristement tissé par l’imagination de Chateaubriand inspira Girodet
qui choisit d’illustrer le roman « Atala ou les amours des deux sauvages dans le
désert » en une fresque « Atala au tombeau » nommée aussi « Funérailles
d’Atala » devenue contrairement à ces protagonistes immortelle.
Nous allons si vous le voulez bien nous prêter à un jeu amusant, troquons nos
yeux de simples observateurs aux yeux d’un critique d’art et décortiquons ce
chef d’œuvre
Girodet a préféré attribuer des traits caucasiens aux sujets s’appropriant ainsi
leur histoire et facilitant par la même occasion le processus de transfert
et d’identification de l’observateur dans l’un ou plusieurs personnages de la
toile. Le peintre a choisit de mettre en scène son tableau dans une grotte, au
coucher du soleil parallélisme avec la fin de vie de la jeune Atala.
Atala a une chevelure rousse, cette couleur peu commune classe la jeune
métisse hors du panel des femmes ordinaires.
Ces mains serrent avec force une croix en bois signe que le corps est en état de
rigidité cadavérique et que la mort date certainement de plus de 8h, ce qui
contraste avec :
- La souplesse du cou d’Atala suggéré par sa position légèrement tourné vers la
gauche pour mieux révéler la beauté de son visage.
- L’impression de légèreté du corps, le père Aubry ne semblant pas fournir
d’effort pour soutenir le cadavre.
- La blancheur éclatante de la peau d’Atala qui à ce stade de décomposition
devrait virer le bleu grisâtre.
- L’absence de lividités cadavériques qui c’est vrai, peuvent être cachées par le
linceul dans laquelle Atala est drapée.
Girodet a choisit sciemment d’ignorer ces détails afin de révéler la beauté
d’Atala au cours et au gré de la mort. Une beauté idéale et irréaliste pour un
cadavre. Cependant l’art n’est-il pas une tentative d’échapper au réel dans
irréel ?
Quant à Chactas, amant veuf malgré lui, il serre les genoux de sa bien aimée en
signe de désespoir. Sa longue chevelure qui se déploie avec grâce trahit son
romantisme, et sa boucle d’oreille son caractère rebelle. Sa musculature si bien
peinte par Girodet suggère qu’il s’agit d’un courageux guerrier qui incarne en
tout point la beauté masculine de l’époque gréco-romaine.
Le père Aubry est le seul personnage réaliste de ce tableau, il a été peint pour
des raisons pratiques et fonctionnelles. En effet, qui aurait pu relever le buste
d’Atala l’exposant ainsi aux rayons du soleil ? Qui aurait pu aider Chactas à
enterrer Atala ? En baissant la tête, le père Aubry incarne la résignation de
l’homme à travers l’ermite qu’il est.
La végétation luxuriante de la grotte et de son environnement externe donne au
tableau un caractère onirique et exotique vite rattrapé par le caractère religieux
de la toile rappelé par la croix qui surplombe la colline, la présence du père
Aubry au chevet de l’héroïne et le verset de la Bible gravé sur la paroi de la
grotte « j’ai passé comme la fleur, j’ai séché comme l’herbe des champs ».
Cette dimension religieuse s’explique par le fait que l’ouvrage « Atala »
célébrait la religion catholique au moment où Bonaparte signait le concordat
avec l’église représentée par Pie VII en 1801. Il était donc tout à fait normal que
le tableau s’inscrive dans le même cadre doctrinal.
Remarquez enfin que tous les personnages ferment les yeux, comme pour
refuser de voir la mort, celle de Atala mais aussi la leur.
Cette fresque appartenant au courant néoclassique a su rapporter par un étrange
jeu de miroir le vécu de Chateaubriand puisque l'histoire raconte que l'écrivain a attribué à son héroine Atala les charmes d’une femme anglaise qu’il avait aimé. Quant à Girodet, l’histoire reste muette.
En tous les cas, le jeu de transferts qu’inspire ce tableau fait encore écho à
travers les siècles. A cet égard, « ATALA AU TOMBEAU » est une toile plus
que vivante bien qu’ayant la mort comme thème principale.
DNR